dimanche 30 octobre 2022

II.3.4. UN ARRIÈRE-PAYS POUR CRIMINELS, NOBLES ET « LE SENTIER »

MENU : 2.3.4. Criminels. Nobles. « Le Sentier »


AU DELÀ DE L'ENCEINTE DU XIIIe SIÈCLE, UN REMPART CONTRE LES BANDES DÉCHAÎNÉES DE LA GUERRE DE CENT ANS
(COMMENCÉ EN 1359; LA GUERRE, 1337-1453)


             Assassinat d'un chevalier anglais, « Chroniques d'Angleterre » de Jean de Wavrin / zoom

          Paris en 1530 / zoom 

Avec la paix l'Église assèche les marécages et y établit des couvents, et des criminels y viennent pour échapper aux autorités.

Ces terres seront sur la route de Versailles... .

En bref


*    *    *
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POISONS ET MESSES NOIRES


« LA RUE DU BOUT DU MONDE » MONTRE COMBIEN CE TERRITOIRE SEMBLE LOINTAIN

Il est plus sinistre encore que celui de la Cour des Miracles :  
« Pour vous débarrasser de votre mari, donnez-lui du bouillon de Saint-Denis », est une rumeur des années 1670.
-- Cité dans L'Affaire des poisons de Arlette Lebigre, 1989

Adapté d'un plan de 1676 / zoom

Alchimistes et faux monnayeurs, utilisateurs de substances dangereuses, s'y établissent : 

    La famille d'un alchimiste de Pieter Bruegel l'Ancien, 1558 / zoom

Des épouses d'anciens artisans* les rejoignent. 

*C'est au moins ce qu'on sait sur deux d'entre elles, mentionnées sur la page qui suit : Marie Bosse, dont la vantardise d'éclanche l'enquête policière, était l'épouse d'un faux monnayeur envoyé aux galères, et le mari de La Voisin un artisan qui avait échoué à divers métiers. 

Elle disent la bonne aventure et vendent des aphrodisiaques. Ensuite la proximité aux alchimistes / faux monnayeurs conduit à fabriquer des poisons, occupation qui ne demande pas de force
physique et ne requiert qu'une cuisine.

Croire en le diable incite à des messes noires. Continuez.

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Au même moment, Louis XIV impose un cérémonial qui étouffe les courtisans.* Un membre de la cour dit qu'il aime voir des chiens se disputer un os, parce qu'ils sont spontanés. 
-- La société de cour de Norbert Elias, 1969.

Louis XIV octroi la Croix de Saint-Louis (recadré), de François Marot, 1709, zoom

Ils dépendent de cadeaux du roi pour tenir leur rang. Le ballet immuable de la cour devient une nécessité et un gouffre de dépense.*

* Il faut de nombreux changements de tenues magnifiques, un loyer considérable à Versailles ou une résidence impressionnante à Paris, un carrosse, des chevaux, des serviteurs, leurs livrées, des dîners somptueux pour faire partie d'un clan, parier pour les enjeux élevés qui plaisent au roi... .

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Louis fait démolir les remparts (en 1674). Les vastes boulevards qui les remplacent sont une condition préalable à l'installation de la cour et du gouvernement à Versailles (en 1682), en permettant l'aller-retour à Paris sans passer par le labyrinthe de rues du centre.

Boulevard de Bonne Nouvelle de Edouard Leon Cortes, vers 1900 / zoom 

Les courtisans ennuyés fréquentent ce quartier marginal pour s'encanailler, se faire dire la bonne aventure, obtenir des aphrodisiaques et pour le frisson du danger.  

Ils apprennent que ces diseuses de bonne aventure fournissent des « poudres de succession » qui permettent d'obtenir un héritage avant l'heure, de se débarrasser d'un rival, de soudoyer... 

Des prêtres murmurent qu'ils entendent des confessions terribles.

Internet

Pour un drame dont on se souvient encore, 
continuez.

*    *    *

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samedi 29 octobre 2022

UNE PLONGÉE DANS LA SORCELLERIE DU XVIIe SIÈCLE


LA CROYANCE AU DIABLE ET À LA MAGIE NOIRE CONDUISAIENT LES COURTISANS A COURIR...
-- L'Affaire des poisons : alchimistes et sorciers sous Louis XIVde J-C. Petitfils, 1977 
-- Louis XIV et l'affaire des poisons : les grands scandals de l'Histoire, You/Tube, 2020

« chez quelque prêtre dévoyé afin d'y faire dire une messe au Diable avec égorgement d'enfant. Le commerce du poison suivait habituellement ces sortilèges : ce que le Diable n'avait pu faire, l'arsenic le ferait plus sûrement. »
--  L'Allée du roi, roman historique de Françoise Chandeneggor, 1981

Madame de Montespan, le grand amour du Roi-Soleil, « Secrets d'histoire » / YouTube

Des bébés ou des jeunes enfants étaient baptisés avant d'être égorgés. Ensuite leur sang était versé dans une calice et de là sur le ventre nu de la cliente.

En disant « la cliente » ou « la sponsor », les textes suggèrent un crime féminin. 

Le prêtre qui pratiquait ces messes avec La Voisin (continuez) assassinait ses propres enfants. 


La plus célèbre criminelle française reste « La Voisin », qui se targuait d'avoir commis 2500 meurtres, par des avortements,*  des empoisonnements et des messes noires. Elle habitait rue Beauregard, qui côtoyait le rempart avant sa destruction (revenez au plan). 

*Criminalisés jusqu'en 1975.

 Catherine Deshayes, veuve Monvoisin, dite La Voisin, de Antoine Coypel,1680-1682



Carolyn Ristau
La Voisin habitait au n° 24.

Un informateur employé par la police nouvelle était invité à un dîner dans le quartier, où une femme ivre s'est vantée d'une clientèle « de duchesses, de marquises, de seigneurs et de princes ». Une enquête trouve des poisons et deux cent personnes ont été arrêtées, y compris La Voisin sur les marches de l'église de sa paroisse après la messe.

Notre-Dame de Bonne-Nouvelle
 L'église médiévale a brûlé (en 1821). Celle-ci la remplace.

La magie noire est un sacrilège qui dépend de la croyance.

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Une mort énigmatique
-- Correspondence de Madame de Sévigny, le 23 février 1680
  • La Voisin boit et chante avec ses gardiens entre les séances de torture et passe la nuit avant son supplice, « toute brisée qu'elle était, à faire la débauche avec scandale ». 

  • Devant l'échafaud elle rejette l'habituel discours de pénitence et de louange du roi, bien que cela aurait pu aider sa fille emprisonnée. Elle hurle et donne en jurant des coups de pied à la paille jusqu'à la fin.

Elle refuse même de se confesser à un prêtre, choisissant donc, étant croyante, de perdre son âme.

 

L'histoire d'une autre femme :
« Une de ces misérables, qui fut pendue l'autre jour...

avait demandé la vie à M. de Louvois [le ministre chargé des exécutions] et qu'en ce cas elle dirait des choses étranges ; elle fut refusée. "Eh bien ! dit-elle, soyez persuadé qu'aucune douleur me fera dire une seule parole." On lui donna la question ordinaire, extraordinaire, et si extraordinaire, quelle pensa y mourir, comme une autre qui expira, le médecin lui tenant le pouls, soit dit en passant. Cette femme souffrit donc tout l'excès du martyr sans parler. On la mène à la Grève [l'Hotel de Ville, lieu d'exécution] ; avant d'être jetée, elle dit quelle voulait parler ; elle se présente héroïquement : Messieurs, dit-elle, assurez M. de Louvois que je suis sa servante, et que je lui ai tenu ma parole ; allons, qu'on achève." Elle fut expédiée à l'instant. Que dites-vous de cette sorte de courage ? Je sais encore mille petits contes agréables comme celui-là ; mais le moyen de tout dire ? 

« On croit qu'il y aura de grandes suites qui nous surprendront », le récit continue, et la mort de La Voisin cache un crime jamais  élucidé, qui a conduit le roi de stopper d'enquête : des prévenus  chargèrent la favorite, Madame de Montespan, de sponsoriser des messes noires et d'avoir tenté d'empoisonner Louis et sa nouvelle maîtresse.

Portrait d'une dame, supposée Madame de Montespan d'un disciple de Pierre Mignard, XVIIe siècle  / zoom 

Superbe, caustique et explosive, d'une lignée plus prestigieuse que celle du roi (dont les aïeuls maternels étaient les Médicis, banquiers parvenus), son éclat ajouta à celui de la cour.

 « ...mais sérieusement, c'est une chose surprenante que sa beauté [...] Elle était toute habillée de point de France ; coiffée de mille boucles ; les deux des tempes lui tombaient for bas sur les deux joues ; des rubans noirs sur la tête, des perles [...] embellies de boucles et de pendeloques de diamant de dernière beauté [...], en un mot, une triomphante beauté à faire admirer à tous les ambassadeurs. »
-- Correspondence de Madame de Sévigny, le 29 juillet 1676

Mais elle avait visité La Voisin pour des aphrodisiaques.

  • Pour éviter que le crime n'éclabousse pas le trône, Louis a arrêté l'enquête et brûlé les témoignages. 

  • Il ne savait pas que le chef de police avait fait des notes détaillées, qui semblent inculper la femme de chambre de la marquise. Elle avait eu une aventure avec le roi et était furieuse qu'il ne reconnaisse pas leur enfant. On la comprend :  il a reconnu 22 autres bâtards.

  • La Voisin emporta ce secret avec elle, ce qui rend sa mort plus étrange encore. 

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Destins 

  • Le roi n'a fait rien contre la marquise, mère de quatre de quatre de ses enfants légitimés, mais elle perd toute influence et retourne à Versailles « comme ces âmes malheureuses qui reviennent dans les lieux qu'ils ont habités pour expier leurs fautes ». 
-- Les Souvenirs de Madame de Caylus, 1770, Mercure de France, ed. 1986, p. 99.

Après une dizaine d'années elle se retira au couvent. En étalant des bijoux cadeaux du roi et ne se souvenant pas des circonstances, elle a dit que sa vie n'avait eu aucun sens. 

  • La femme de chambre a pris sa retraite avec une pension. Sa fille, qui se savait de sang royale et ressemblait à son père, se contenta d'un mariage médiocre. 

  • La progression de l'enquête terrifia les courtisans. Quand Olympe Mancini eut un avertissement du roi en souvenir de leur longue amitié, elle posa ses cartes de jeu, monta dans son carrosse et se sauva à l'étranger pour ne jamais revenir.
D'autres ont été bannis, une punition douce pour le meurtre, surtout quand le roi pouvait pardonner.

  • Quelques prisonniers de milieux populaires ont été libérés, mais soixante-huit passèrent le reste de leurs vies enchaînés aux murs de donjons. Le dernier est mort en 1725.

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 Ces drames...

  • Conduisent à la première loi régulant la vente de produits toxiques (en 1682), qui fonctionne toujours. Elle aide a expliquer la fin des empoisonnements de masse. 
D'autres raisons pour cette disparition : la mise à l'écart des nombreux criminels, leur terrifiante punition et surtout, des connaissances médicales qui facilitent l'identification de poison pendant les autopsies.  

  • Révèlent le revers cauchemardesque du plus célèbre règne français, sensé avoir été un temps de gloire, d'équilibre et de raison.

Jean Prevost Higa, Canalblog

  • La Voisin, la sorcière de Blanche Neige ? « L'Affaire des poisons » était si connue en Europe qu'on croyait tout Français empoisonneur : les narrateurs ont du penser à La Voisin en étoffant leur conte. 
    -- Tout Français empoisonneur : Petitfils

Le film de Disney
Internet, sans source

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Le salon de thé face à l'église

ramène à un présent rassurant.

Les 2 au coin
 7 rue Notre-Dame de Bonne-Nouvelle

Du moins on l'espère telle.

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vendredi 28 octobre 2022

DES NOBLES PRENNENT LA RELÈVE


L'ARRIÈRE-PAYS SINISTRE SE TRANSFORME QUAND DES NOBLES S'ÉTABLISSENT PRÈS DES BOULEVARDS POUR
ATTEINDRE VERSAILLES PLUS FACILEMENT*

*L'actuel 7e arrondissement au sud-ouestoù les antiquaires se concentrent aujourd'hui, plus proche de Versailles, est déjà occupé. 
 
Ces vastes artères permettent d'éviter les embouteillages du centre...

Les Embarras de Paris vus du  pont Neuf, gravure de Nicolas Guerard vers 1700 / zoom

...et rendent Versailles qu'à trois heures en carrosse et une heure à cheval. Une population à l'opposée des mendiants, des voleurs, des empoisonneurs et des sorciers s'y établit.

Plan de 1576 / zoom

Eliminer la Cour des Miracles et les criminels adossés à l'enceinte annonce le déplacement à Versailles.

  
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Exemples de la population nouvelle :

  • Une année après la condamnation des derniers empoisonneurs et praticiens de messes noires (en 1683), les Sœurs de Saint-Chaumont se fixent à la rue Saint-Denis (déroulez). 

On aperçoit leur ancien couvent derrière les immeubles. Il couvre tout un pavé de maisons, en face de la rue où vécut La Voisin :

L'ancien couvent commence à ce coin de rue et continue jusque la porte Saint-Denis (l'arc qui apparaît  au loin).

Des femmes de la noblesse se retiraient dans des couvents comme celui-ci, pour quitter le monde et préparer leur salut.   


Carrefour de la porte Saint-Denis

  • À la fin du XVIIIe siècle le père de la portraitiste Elisabeth Vigée-Lebrun habite la rue de Cléry, juste derrière rue Beauregard. Elle y vit aussi, et une dame qu'elle n'aime pas y tient un salon.
-- Les Libertines ; plaisir et liberté au temps des Lumières de Olivier Blanc, 1997
 
 Un de ses vingt portraits de Marie-Antoinette et son autoportrait / zoom

Ces nobles sont à l'origine de la célèbre élégance
des Boulevards au XIXe siècle,
et du territoire à l'est de la porte Saint-Denis.

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