mercredi 13 avril 2016

L'AMOUR TRIOMPHE — MALHEUREUSEMENT


LA DUCHESSE DE MONTPENSIER EST CONNUE AUSSI POUR UNE PASSION QUI DÉFIA L'HIÉRARCHIE 

« La Grande Mademoiselle » petite-fille d'Henri IV, cousine germaine de Louis XIV, héritière d'une des plus grandes fortunes d'Europe, croyait que seul un roi ou un empereur serait digne d'elle...

Marie-Louise de Montpensier tenant le portrait de son père, Gaston de France par Pierre Bourguignon, 1672  / zoom

Mais à quarante ans passés elle tomba amoureuse d'un insolent cadet de petite noblesse et pendant quarante-huit heures Louis XIV permit leur mariage :

Antoine Nompar de Caumont, comte de Puyguilhem, plus tard duc de Lauzon 


Madame de Sévigné* a laissé ce récit célèbre : 

*Ses lettres la placent parmi les grands écrivains français. 

« Je vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus brillante, la plus digne d'envie [...].

Une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde, une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne peux me résoudre à la dire : devinez-là [... ]. Jetez-vous votre langue aux chiens ? Eh bien ! Il faut donc vous le dire : Monsieur Lauzon épouse dimanche au Louvre, devinez qui ? [Suit des noms de demoiselles de la cour]. Il faut donc à la fin vous le dire. Il épouse, dimanche, au Louvre, avec la permission du Roi, Mademoiselle... Mademoiselle de... Mademoiselle... devinez le nom : il épouse Mademoiselle, ma foi ! par ma foi ! ma foi jurée ! Mademoiselle, la grande Mademoiselle : Mademoiselle, fille du feu Monsieur [le titre du frère du roi] ; Mademoiselle, la petite-fille d'Henri IV ; mademoiselle d'Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d'Orléans ; Mademoiselle, cousine germaine du Roi ; Mademoiselle, destinée au trône [avant la canonnade de la Bastille, qu'elle épouse Louis XIV était une possibilité]. Voilà un bon sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu'on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade d'imaginer; si enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous. »
-- Le 15 décembre 1670

Louis consentit à leur mariage, puis changea d'avis : on ne confronte pas ainsi l'hiérarchie que Dieu a établit (et laisser une immense fortune sortir de la famille). 

Quatre jours plus tard

« Ce ce qui s'appelle tomber des nues, c'est ce qui est arrivé hier soir aux Tuileries ; mais il faut reprendre les choses de plus loin. Vous en êtes à la joie, aux transports, au ravissements de la princesse et de son bienheureux amant. Ce fut donc lundi que la chose fut déclarée, comme vous avez su. Le mardi se passa a parler, à s'étonner, à complimenter. Le mercredi, Mademoiselle fit une donation à M. de Lauzun, avec dessin de lui donner ses titres, les noms et les ornements nécessaires pour être nommé au contrat de mariage, qui fut fait le même jour. Elle lui donna donc, en attendant mieux, quatre duchés  [la liste suit]. Le jeudi matin, qui était hier, Mademoiselle espérait que le roi signerait, comme il avait dit ; mais sur les sept heures du soir, Sa Majesté étant persuadé par la Reine, Monsieur et plusieurs barbons, que cette affaire faisait tort à sa réputation, il se résolu de la rompre [...]. Monsieur de Lauzun reçut cet ordre avec tout le respect, toute la soumission, toute la fermeté et tout le désespoir que méritait une si grande chute.

Pour Mademoiselle [...] elle éclata en pleurs, en cris, en douleurs violentes, en plaintes excessives; et tout le jour n'a pas sorti de son lit, sans rien avaler que des bouillons. Voilà un beau songe, voilà un beau sujet de roman ou de tragédie, mais surtout un beau sujet de raisonner et de parler éternellement [... . »
-- Le 19 décembre 1670

Le roi emprisonna l'ex-fiancé pour une autre affaire.*

*Très petit, il s'était glissé sous le lit où le roi et sa favorite (Madame de Montespan) faisaient l'amour, pour savoir si elle garderait sa promesse de dire du bien de lui. Mais elle l'a accablé. Quand il lui demanda si elle avait gardé sa promesse et qu'elle lui dit que oui, il répéta la conversation mot pout mot, en l'insultant. 
-- Le Roman du duc de Lauzun, « Louis XIV et sa cour » 
du duc de Saint-Simon, ed. abrégée, 1994

Pendant dix ans, Anne-Marie l'implore le roi de le libérer. Quand elle lègue sa fortune à un de ses fils légitimés il le fait enfin.

Ils se marient. 

Lauzon lui fait s'agenouiller pour retirer ses bottes.

Plus tard elle le tabasse.

Et le quitte.

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Faire échapper Jacques II d'Angleterre relance sa carrière.  

Portrait d'Antoine Nompar de Caumont, duc de Lauzun de Alexis Simon Belle, vers 1700 / zoom

« Ses manières étaient toutes mesurées, réservées, doucereuses, même respectueuses ; et de ce ton bas et emmiellé il sortait des traits perçants et accablants par leur justesse, leur force ou leur ridicule, et cela en deux ou trois mots, quelquefois d'un air de naïveté ou de distraction, comme s'il n'eut pas songé. Aussi était-il redouté [...]. » 

Même à quatre-vingt-un ans
il n'est pas rem is de la perte de son poste
de commandant de la Garde : 

« J'ai souvent réfléchi à cette occasion, sur l'extrême malheur de se laisser entraîner à l'ivresse du monde, et au formidable état d'un ambitieux que ni les richesses, ni le domestique le plus agréable [après la mort de Mademoiselle Lauzun épouse la belle-sœur de Saint-Simon], ni la dignité acquise, ni l'âge, ni l'impuissance corporelle, n'en peuvent déprendre, et qui, au lieu de jouir tranquillement de ce qu'il possède, et d'en sentir le bonheur, s'épuise en regrets et en amertumes inutiles et continuelles [...]. » 
-- Saint-Simon, suite

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La duchesse et Lauzun ont été écrasés,
par le despotisme du roi et l'obsession du rang :
Marie-Louise en passant dix ans à attendre 
un homme qui ne valait pas la peine,
et Lauzon en ne pouvant surmonter la perte d'un poste.

La plupart des membres de la cour
ont souffert aussi d'un milieu où
« tout devient habileté, desseins, complaisances forcées, flatterie sans mesure et aigreur dans le fond... »  
-- La marquise de Maintenon, deuxième épouse de Louis XIV, dans Madame de Maintenon, « l'Âge de la Conversation" par Benedetta Craveri," 2001, p. 236. 

Une rare fin heureuse est celle de Louise de la Vallière,
qui après des années d'humiliation 
comme la favorite officielle mais méprisée,
quitta la cour pour vivre
 les trente ans du reste de sa vie comme Carmélite,
apparemment avec bonheur.

Fin de cette section.

*     *     *

La prochaine section,
III.1.2.
Les étapes du cortège

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