mercredi 13 avril 2016

DÉTOUR : L'AMOUR TRIOMPHE — MALHEUREUSEMENT


ANNE-MARIE-LOUISE D'ORLÉANS, DUCHESSE DE MONTPENSIER, EST CONNUE AUSSI POUR UNE PASSION QUI DÉFIA L'HIÉRARCHIE 

La cousine de Louis XIV, appelée « la grande Mademoiselle », qui posséda aussi une des plus importantes fortunes d'Europe, croyait que seul un roi ou un empereur serait digne d'elle...


...tomba amoureuse d'un cadet de Gascognepetit, insolent et considéré un amant doué

Zoom
Puyguilhem, comme il était connu dans sa jeunesse, plus tard le Duc de Lauzon 


Madame de Sévigny* laisse ce récit célèbre : 

* Ses lettres, qui racontent ce qui se passe à la cour, la placent parmi les grands écrivains français. 

« Je vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus brillante, la plus digne d'envie [...]

Une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde, une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne peux me résoudre à la dire : devinez-là [... ] Jetez-vous votre langue aux chiens ? Eh bien ! Il faut donc vous le dire : Monsieur Lauzon épouse dimanche au Louvre, devinez qui ? [suit des noms de demoiselles de la cour]. Il faut donc à la fin vous le dire. Il épouse, dimanche, au Louvre, avec la permission du Roi, Mademoiselle... Mademoiselle de... Mademoiselle... devinez le nom : il épouse Mademoiselle, ma foi ! par ma foi ! ma foi jurée ! Mademoiselle, la grande Mademoiselle : Mademoiselle, fille du feu Monsieur [le titre du frère du roi]; Mademoiselle, la petite-fille d'Henri IV; mademoiselle d'Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d'Orléans; Mademoiselle, cousine germaine du Roi; Mademoiselle, destinée au trône [avant la canonnade de la Bastille, qu'elle épouse Louis XIV était une possibilité]. Voilà un bon sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu'on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade d'imaginer; si enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous. »
-- Le 15 décembre 1670

Louis consent à leur mariage, puis change d'avis : on ne confronte pas ainsi l'hiérarchie établit par Dieu (en laissant une immense fortune sortir de la famille). 

Quatre jours plus tard

« Ce ce qui s'appelle tomber des nues, c'est ce qui est arrivé hier soir aux Tuileries; mais il faut reprendre les choses de plus loin. Vous en êtes à la joie, aux transports, au ravissements de la princesse et de son bienheureux amant. Ce fut donc lundi que la chose fut déclarée, comme vous avez su. Le mardi se passa a parler, à s'étonner, à complimenter. Le mercredi, Mademoiselle fit une donation à M. de Lauzun, avec dessin de lui donner ses titres, les noms et les ornements nécessaires pour être nommé au contrat de mariage, qui fut fait le même jour. Elle lui donna donc, en attendant mieux, quatre duchés  [la liste suit ]Le jeudi matin, qui était hier, Mademoiselle espérait que le roi signerait, comme il avait dit ; mais sur les sept heures du soir, Sa Majesté étant persuadé par la Reine, Monsieur et plusieurs barbons, que cette affaire faisait tort à sa réputation, il se résolu de la rompre [...]. Monsieur de Lauzun reçut cet ordre avec tout le respect, toute la soumission, toute la fermeté et tout le désespoir que méritait une si grande chute.

Pour Mademoiselle [...] elle éclata en pleurs, en cris, en douleurs violentes, en plaintes excessives; et tout le jour n'a pas sorti de son lit, sans rien avaler que des bouillons. Voilà un beau songe, voilà un beau sujet de roman ou de tragédie, mais surtout un beau sujet de raisonner et de parler éternellement [...] »
-- Le 19 décembre 1670

Le roi emprisonne Lauzun pour une autre affaire. *

* Il s'était glissé sous le lit ou le roi et sa favorite (Madame de Montespan) faisaient l'amour, pour savoir si elle garderait sa promesse de dire du bien de lui. Mais elle l'a accablé. Quand il lui demanda si elle avait gardé sa promesse et qu'elle lui dit que oui, il répéta la conversation mot pout mot, en l'insultant. 
-- Le Roman du duc de Lauzun, « Louis XIV et sa cour » 
du duc de Saint-Simon, ed. abrégée, 1994

Pendant dix ans, Anne-Marie l'implore le roi de le libérer. Il le fait quand elle lègue sa fortune à un de ses fils légitimés.

Ils se marient. 

Lauzon lui fait s'agenouiller pour retirer ses bottes.

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Sa carrière sera d'autant plus exceptionnelle * que Louis XIV s'en méfiera toujours.

* Faire échapper Jacques II d'Angleterre le relance.

Portrait d'Antoine Nompar de Caumont, duc de Lauzun de Alexis Simon Belle, vers 1700 / zoom

« Ses manières étaient toutes mesurées, réservées, doucereuses, même respectueuses; et de ce ton bas et emmiellé il sortait des traits perçants et accablants par leur justesse, leur force ou leur ridicule, et cela en deux ou trois mots, quelquefois d'un air de naïveté ou de distraction, comme s'il n'eut pas songé. Aussi était-il redouté [...] » 

Il ne se remet jamais d'avoir perdu son poste
de commandant de la Garde 

« J'ai souvent réfléchi à cette occasion, sur l'extrême malheur de se laisser entraîner à l'ivresse du monde, et au formidable état d'un ambitieux que ni les richesses, ni le domestique le plus agréable [après la mort de Mademoiselle Lauzun épouse la belle-sœur de Saint-Simon], ni la dignité acquise, ni l'âge, ni l'impuissance corporelle, n'en peuvent déprendre, et qui, au lieu de jouir tranquillement de ce qu'il possède, et d'en sentir le bonheur, s'épuise en regrets et en amertumes inutiles et continuelles [...] » 
-- Saint-Simon, suite

Anne-Marie et Lauzun ont été écrasés
par l'obsession avec le rang et le despotism du rang.

C'était vrai pour l'ensemble des courtisans. 
Une rare fin heureuse est celle de Louise de la Vallière,
qui après des années d'humiliation comme la favorite
officielle mais méprisée,
quitta la cour pour vivre le reste de la vie,
apparemment avec bonheur, 
comme religieuse. 

Fin de cette section.

*     *     *

La prochaine section,
III.1.2.
Les étapes du cortège











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