dimanche 26 septembre 2021

LES INTELLECTUELS, LES CAFÉS, L'OCCUPATION


LIBRAIRES, ÉDITEURS, ÉCRIVAINS, ÉTUDIANTS, ARTISTES, PROFESSEURS, GALERISTES, CINÉASTES (...) SE RENCONTRAIENT DANS LES NOMBREUX CAFÉS

On pouvaient y téléphoner et rester indéfiniment pour le prix d'une seule consommation. 

Adapté d'un plan Google

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Pendant les hivers de l'Occupation qu'ils soient chauffés (à peu près) rendaient les cafés essentiels. Ci-dessous est une rare photo où on voit des officiers allemands sur une terrasse de café en été.


Je n'en connait pas prise de l'intérieur et au café Flore, sur le boulevard Saint-Germain en face du clocher de l'Abbaye, il ne pourrait pas en avoir. La philosophe et romancière Simone de Beauvoir explique pourquoi :


L'hiver [de 1942] fut rude....

Il n'était pas question de travailler dans l'humidité glaciale de ma chambre. Au Flore, il ne faisait pas froid, les lampes à acétylène donnaient un peu de lumière quand les ampoules s'éteignaient. C'est alors que nous primes l'habitude de nous établir pendant nos heures libres. Nous y trouvions pas seulement un relatif confort [...] : nous nous sentions chez nous, à l'abri.

[...] je m'efforçais d'arriver dés l'ouverture pour occuper la meilleure place, celle où il faisait le plus chaud, à côté du tuyau de la poêle. [...] 

Un certain nombre d'habitués s'installaient comme moi devant les tables de marbre pour lire et travailler. [...] 

Tous les jours, vers dix heures du matin, 
deux journalistes s'asseyaient côte à côte 
sur la banquette du fond et déployaient Le Matin
 [un journal collaborationniste]. 

Ils commentaient les événements, d'un air désabusé [...] « Au train où vont les choses, jamais on ne sera débarrassé de ces youtres ! » [...] Je ne détestait pas les entendre ; il y avait dans leurs visages, dans leurs propos, quelque chose de si dérisoire que, pendant un instant, la collaboration, le fascisme, l'antisémitisme, m'apparaissaient comme une farce destinée à quelques simples d'esprit. Et puis, je me ravisais, avec stupeur ; ils pouvaient nuire, ils nuisaient [suit la mention de disparus]. 

Personne ne frayaient avec ces deux collaborateurs, sauf un petit homme brun, aux cheveux frisés, qui se disait secrétaire de Laval [Premier Ministre sous le gouvernement collaborateur de Vichy].

[...] Y eut-il d'autres mouches ? Au début de l'occupation, deux ou trois habitués du Flore furent arrêtés ; qui les avait donnés ? Nul ne l'a su. En tout cas, personne à présent ne conspirait plus à l'étourdie , et si quelques résistants menaient la vie de café, c'était pour s'en faire une façade. [...] 

Dans l'ensemble, les clients du Flore étaient résolument hostiles au fascisme et à la collaboration, et ils ne s'en cachaient pas. Les occupants le savaient, sans doute, car ils n'y mettaient jamais les pieds. Une fois un jeune officier allemand poussa la porte et s'assit dans un coin avec un livre ; personne ne broncha, mais il dut sentir quelque chose car très vite il referma son livre, paya sa consommation et décampa.

Peu à peu, au cours de la matinée,
 la salle se remplissait ;
 à l'heure de l'apéritif elle était comble.

Picasso souriait à Dora Marr qui tenait en laisse un gros chien ; [...] Jacques Prévert discourait ; il y avait des discussions bruyantes à la table des cinéastes qui, depuis 1939, se retrouvaient là presque chaque jour. [...]

Cependant, les deux journalistes continuaient à rêver tout haut l'extermination des juifs [...].

On avait toujours un choc de plaisir, le soir, quand on émergeait des froides ténèbres pour entrer dans ce repaire tiède et illuminé, tapissé des belles couleurs rouges et bleues. La « famille » entière se retrouva parfois au Flore, mais éparpillée, selon nos principes à tous les coins de la salle. [par sécurité ?] [...]

Malgré les restrictions et les alertes,
 nous retrouvions au Flore
 une reminiscence des années de paix ;
 mais la guerre s'insinua dans notre querencia.

On nous dit un matin que Sonia venait d'être arrêtée [...]. Quelques jours plus tard, à l'aube, Bella dormait dans les bras du garçon qu'elle aimait quand la Gestapo frappa à leur porte et l'emmena [...] Nous étions encore très imparfaitement renseignés sur les camps, mais c'était terrifiant le silence dans lequel s'engouffra ces filles si gaies. Jausion et ses amis continuèrent à venir au Flore et à s'assoir aux mêmes places ; ils parlaient entre eux, avec une agitation un peu hagarde ; aucun signe n'indiquait, sur la banquette rouge, le gouffre qui s'était creusé à leur côté. C'est là ce qui me semblait le plus intolérable dans l'absence ; quelle ne fût exactement rien. Cependant les images de Bella, de la Tchèque blonde, ne s'effacèrent pas de ma mémoire : elles en signifiaient des milliers d'autres. L'espoir recommençait, mais je savais que plus jamais la fallacieuse innocence du passé ne ressusciterait.
-- La force de l'âge II, ed.1960, pp. 606-612

Zoom
Simone de Beauvoir à cette époque






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