vendredi 27 mai 2011

II.7. LES NON-DITS DE L'OPÉRA


« ADMIREZ L'IMPORTANCE QUE NOUS DONNONS À LA CULTURE ! » EST LE MESSAGE OFFICIEL POUR CE JOYAU DU XIXe SIÈCLE  

Généralement il faut un savoir spécialisé pour contester les récits établis. Ici l'observer suffit. 

Richard Nahem
Christopher Dickey
The Palais (palace) Garnier nommé pour son architecte, Charles Garnier

En bref

  • Un palais pour une élite nouvelle
  • Sponsors, argent et libertinage 
  • Censure ?

Suite et fin :
« Paris brûle t'il ? » Le cadeau des petites danseuses à Paris
*      *      *

Suite,




mercredi 25 mai 2011

II.7.1. UN PALAIS POUR UNE ÉLITE NOUVELLE

 2.7.1. Un palais pour une élite nouvelle

L'OPÉRA DOMINE LA NOUVELLE CAPITALE, VILLE DE BANQUES, DE SOCIÉTÉS DE TRANSPORT ET D'ASSURANCE, DE GRANDS MAGASINS... 

Cette deuxième tranche de la transformation urbaine est construite à l'ouest pour éviter la pollution et les rebelles.

Vue de la terrasse du grand magasin Le Printemps


En bref

  • Un lieu où nobles et parvenus se croisent
  • « Nous aussi pouvons côtoyer les dieux » 

*      *      *

Suite,




lundi 25 avril 2011

UN DESSIN URBAIN QUI SOULIGNE LE POUVOIR


RUE DROITE ET MODÈLE ROYAL 

L'impérieuse avenue de l'Opéra...


Neige à l'avenue de l'Opéra de Camille Pissaro, 1898 / zoom


  •  Devait joindre l'Opéra aux palais des Tuileries et du Louvre, mais les Tuileries ont brûlé et aujourd'hui on n'y pense plus : 
Photo du web, photographe non nommé
  • Était le lieu des cortèges officiels jusque la Première Guerre Mondiale :



La place de l'Opéra adapte l'archétype des places royales : 

  • C'est un lieu public vers lequel des rues droites convergent.  
  • Une architecture homogène l'entoure. 

Claude Abron

Le monument est associé à Napoleon III
comme Versailles à Louis XIV.

Pamela Spurdon


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samedi 23 avril 2011

UN LIEU OÙ NOBLES ET PARVENUS SE CROISENT


EXCEPTIONNELLEMENT COÛTEUX CAR UNISSANT TOUS LES ARTS, L'OPÉRA OFFRE AUX ÉLITES OPPOSÉS UN PRÉTEXTE POUR SE CROISER EN TERRAIN NEUTRE

  L'Âge de l'innocence de Martin Scorsese, 1995
Le film commence par une longue séquence à la l'opéra de New York, pour donner le cadre de la haute société des années 1870.

À Paris, le nouveau Opéra est conçu pour faciliter ces rencontres :

  • Les enrichis de la Révolution industrielle souhaitent se mélanger à la noblesse, mais ses salons leur sont fermés :  « C'est un banquier qui s'impose à Paris par sa fortune... il a déjà tenté de venir me voir... »
-- Une marquise observant la femme du banquier de sa loge :
 Balzac, Les Illusions perdues, 1843

  • Néanmoins pour des nobles désargentés de telles rencontres pouvaient être un pas vers des mariages utiles.

Le décor souligne les intentions sociales...

  •  Les sculptures des deux côtés de l'entrée à la salle de spectacle sont presque invisibles, se fondant dans un décor qui rehausse le costume :

L'Escalier de l'Opéra de Louis Béroud, 1877 / zoom

  • L'escalier se scinde pour attirer vers des balcons, d'où observer l'arrivée d'alliés et de rivaux, échanger des regards ou être leur cible soi-même :



Bal à l'Opéra de Henry Gervex

Loges et un espace de promenade encouragent les échanges
pendant les deux entr'actes d'une heure...

  • Les loges, cadres de scènes de romans

« La loge des Premiers Gentilshommes [...] ; on y est vu comme on y voit des deux côtés. »
-- Illusions perdues
    • À Paris, des jeunes hommes à la mode bavardent spirituellement avec une marquise. Ses invités provinciaux sont totalement dépassés. (Illusions perdues)
    • À Moscou, l'inquiétant Kuragin commence sa séduction de Natasha dans une loge. (Guerre et Paix)
    • À Saint Petersburg, la déclassée Anna Karénine defie la bonne société en s'assoyant magnifiquement habillée au premier rang. (Anna Karénine)

Anna Karénine de Clarence Brown avec Greta Garbo, 1935

  • L'espace de promenade, le Grand Foyer, « où la couleur et la lumière créent un monde où le doute et l'anxiété n'existent pas, une Arcadie perdue ». 
 -- Introduction« Les Peintures de l'Opéra de Paris » de J. Foucart et L-A Prat, 1980

Site web de l'Opéra

L'espace reçoit confortablement
deux mille spectateurs,
pour qui les rencontres étaient souvent
la raison réelle pour venir au show. 

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jeudi 21 avril 2011

« NOUS AUSSI POUVONS CÔTOYER LES DIEUX »


ÉCONOMIQUEMENT VICTORIEUX MAIS SOCIALEMENT INSÉCURESLES BOURGEOIS ENRICHIS S'APPROPRIENT LE CODE DES NOBLES

Le décor de l'Opéra, la dernière expression d'un art qui
associait les nobles aux dieux : 

Plafond du  Grand Escalier de Isodore Pils, 1865

Le théâtre a maintenant deux plafonds. Le moderne collé sur l'original témoigne du changement de société et de goût : 

  • L'original donnait au publique l'impression d'être parmi les dieux au Mont Olympe (en 1871).

De Jules Lenepveu
  • Le plafond superposé présente des scènes d'opéras divers sans lien avec le reste de l'édifice (en 1964).

De Chagall, 1964

L'inauguration de l'Opéra a lieu la même année que la première exposition impressionniste (1874-5). Réactions d'époque : 

  • Le décor de l'Opéra, la plus haute expression de l'art français.
  • L'impressionnisme, du gribouillage « non fini », qui en embellissant des gens de tous les jours est « communard » en plus.*

*Donner une commande officielle à Renoir menacerait la jeune république, dit son Président (Gambetta, en 1877).
-- Mon père de Jean Renoir  

 Danse au Moulin de la Galette de Auguste Renoir, 1876 / zoom

Mais une génération plus tard les classes moyennes savent leur triomphe définitif, et créent leur propre code. 

Les dieux sont oubliés et des personnages jeunes, beaux, heureux
et ordinaires idéalisent une autre humanité, et annoncent nos publicités. 


 Ainsi finit la partie respectable
 de la visite.

Fin de cette section.  
 
*     *     *






mercredi 30 mars 2011

II.7.2. SPONSORS, ARGENT ET LIBERTINAGE

 2.7.2. Sponsors argent et libertinage

NOTRE GUIDE TRAVERSE UN PASSAGE VIDE VERS CE QUI RESSEMBLE À UNE PORTE MURÉE 

Cyprian Leym
En bref

  • Financer les spectacles : les « abonnés »
  • Le ballet, une tradition de la cour française
  • Millionnaires et ballerines
  • « La petite danseuse » de Degas
  • Un plafond décoré par une orgie
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mardi 29 mars 2011

FINANCER LES SPECTACLES : LES « ABONNÉS »


LES HOMMES LES PLUS RICHES DE PARIS FINANÇAIENT LES SPECTACLES EN RÉSERVANT LES PLACES LES PLUS CHÈRES

Ces « abonnés » pouvaient les utiliser pour leurs familles ou des visiteurs de province, le mardi, mercredi ou vendredi pendant un an... .

De Honoré Daumier

 ...mais l'attrait principal de l'abonnement était de dîner dans un salon privé à côté de la porte maintenant murée.

Les magnats y accédaient par une entrée créée pour eux seuls, ayant laissé leurs voitures dans l'immense vide qui l'entourait: on y vient.

Ce que ressemble à des toits couvre des tables du restaurant actuel. 



Ces dîners permettaient aux dirigeants de l'industrie, du commerce et de la culture d'établir des relations, entre eux et avec la noblesse la plus vénérable, dans un contexte aussi intime et exclusif que celui d'un salon. 

Ils se passaient en attendant la fin du ballet qui suivait le second acte.
*     *     *

Suite, 




lundi 28 mars 2011

LE BALLET, UNE TRADITION DE LA COUR FRANÇAISE


IL COMMENCE PAR DES PROCESSIONS INTRODUITES PAR LE ROI ET LA REINE
(VERS 1560)

Louis XIII et Anne d'Autriche les conduisent...

     The Ball by Abraham Bosse, 1634 / zoom 

ou observent les dances ritualisées qui s'ensuivent :

Maurice Leloir dans Richelieu de Théodore Cahu, 1901, une histoire de la France pour enfants  

Elles deviennent des spectacles qui racontent les allégories concernant le roi, dansés par les jeunes nobles... 

Maurice Leloir dans Le Roy-Soleil de Theodore Cahu, 1931

Louis XIV, un excellent danseur, établit la première école de ballet et ordonne qu'un spectacle soit inséré à la fin du second acte de tout opéra produit à la cour. 

Vu dans les films L'homme au masque de fer de R. Wallace avec Leonard Dicaprio comme Louis, 1998, et Le Roi danse de G. Corbiau, 2000

La danse ritualisée faisait partie de la vie de cour jusque la fin de l'Ancien Régime : 

La Princesse de Navarre de Nicolin Cochin, 1745 / zoom

# # #
   
  
L'Opéra continua cette tradition, un ballet ayant lieu après chaque deuxième acte : 



Les danseuses de Degas étaient toutes des « filles de l'opéra », 
Paris n'ayant pas d'autre ballet.

 Montré à l'exposition Degas à Opéra au musée d'Orsay

Ces entr'actes sont le lien
 entre les danses de cour et celles de cabaret,
qui aussi ont commencé à Paris.

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vendredi 25 mars 2011

MILLIARDAIRES ET BALLERINES


ENTRETENIR UNE DANSEUSE, UNE SOURCE D'IDENTITÉ, DE
PRESTIGE ET DE CRÉDIT

 « ...Monsieur Leuwen, le riche banquier qui entretient 
Mademoiselle des Brins, de l'Opéra... »
-- Lucien Leuwen de Stendhal, 1834

Le deuxième acte terminé, les abonnés rencontrent les danseuses en coulisse, ou dans une salle spécialement créée à cet usage :

Les Coulisses de l'Opéra de Jean Béraud, 1889, musée Carnavalet

  •  L'idéalisation de ces rencontres a contribué à la célébrité de Paris pour le libertinage de luxe :

Le Foyer de la Danse, archives de l'Opéra

La salle « est destinée à servir de cadre aux gracieux essaimes de ballerines [...] on dirait un kaléidoscope quand elles s'entremêlent de mille et mille manières. » 

-- Charles Garnier
  • Vu par Degas 

À l'exposition Degas à l'Opéra" au musée d'Orsay

# # #

Ces ballerines, « l'élite des plaisirs parisiens »

  • « ...sa mère, comme j'ai appris depuis, à mon horreur, était une danseuse à l'Opéra » 
-- Dit de Becky Sharp, l'aventurière de La Foire aux vanités, 
par W.M. Thackeray, Londres 1848

De Degas

  •  « C'est ma danseuse... » 

L'expression évoque une activité qui exige d'immenses ressources ou efforts, et ne donne rien en retour. Elle se réfère aux demandes exorbitantes des danseuses.


De milieux humbles, généralement illettrées, les ballerines n'ont laissé aucun témoignage et nous les connaissons que par les hommes qui les méprisaient.

Elles les méprisaient en retour. Le ruban noir de la jeune femme ci-dessus rappelle le collier de chien, c'est-à-dire, « Nous savons ce que vous pensez de nous. Nous ne vous aimons pas non plus ».
-- Nadège Maruta, 
chorégraphe et historienne du french cancan, communication personnelle

  • La vengeance de danseuses et de courtisanes : « À chaque bouchée, Nana dévorait un arpent... 

Elle passait, pareille à une de ces nuées de sauterelles dont le vol de flamme rase une province. Elle brûlait la terre où elle posait son petit pied. Ferme à ferme, prairie à prairie, elle croqua l'héritage [...] comme elle croquait entre les repas, un sac de pralines posé sur ses genoux [...] mais un soir, il ne restait qu'un petit bois. Elle l'avala d'un air de dédain, car ça ne valait même pas la peine d'ouvrir la bouche. »
-- Nana de Émile Zola, 1880

La coutume commence son déclin quand les « filles de l'Opéra »
font grève avec le reste du personnel, et obtiennent des salaires décents : des lettres furieuses d'abonnés montrent que beaucoup
d'entre elles refusent alors ce « mécénat ».
(En 1912) 

Il disparaît quand Jacques Rouché, un protestant austère devenu directeur, supprime les privilèges des abonnés en finançant les spectacles lui-même.
(Années 1930) 
-- Pascal Payen-Appenzeller,
 historien de Paris, communication personnelle

Quand Rouché vient au bout de ses ressources,
l'État prend la relève.

(En 1939)

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