mercredi 20 janvier 2016

III.1.5. TOMBÉE DE RIDEAU

3.1.5. Tombée de rideau

LA CROISSANCE ÉCONOMIQUÉE ETAIT TELLE QUE « LES BARRIÈRES AU CAPITALISME DEVAIENT ÊTRE BRISÉES. ELLES ONT ÉTÉ BRISÉES » 
-- Karl Marx
-- Source principale ici : Histoire de la Révolution française de Jules Michelet, 1847,
 dir. Pierre Gaxotte, ed. abrégée, 1971
 
La transformation était inévitable, la chute de la monarchie ne l'était pas : la reine en cassant les codes le roi en les affirmant, expliquent sa fin.
 
Vue du Louvre quand le roi arrive à Paris le 17 juillets, escorté d'un grand nombre de citoyens armés de piques et de mousquets qui l'ont accompagnés à l'Hôtel de Ville de Jean-Pierre Houël, 1789 / zoom

Louis XVI est accueilli avec un enthousiasme immense quand il vient à Paris quelques jours après la prise de la Bastille, car sa visite semble indiquer qu'il l'accepte.


En bref

  • La reine brise des règles qu'elle ne comprend pas 
  • Une tête d'oiseau se montre à la hauteur
  • « Bonjour Sire ! », le salut annonce de calamité 
  • La fuite du roi revisitée : les livrées jaunes des gardes
  •  La fin d'une royauté millénaire
  • Le Temple, une prison qui aurait pu être pire
  • « Je n'ai plus de larmes pour pleurer » 
  • Marie-Antoinette atteint la grandeur
  • Le Dauphin, une histoire qui continue 
  • L'Obélisque annonce une ère nouvelle 
  • Comment la France est devenue une république
  • Les Présidents français, héritiers des rois 

*     *     *

Suite,






lundi 18 janvier 2016

LA REINE BRISE DES RÈGLES QU'ELLE NE COMPREND PAS


« JE JOUIERAIS DES JOIES D'UNE VIE PRIVÉE, QUI N'EXISTE PAS POUR NOUS [LES ROYAUX], SI NOUS N'AVONS LE BON ESPRIT DE NOUS L'ASSURER » 
-- Marie-Antoinette

« Ma mémoire m'a rappelé fidèlement tout le charme qu'une illusion si douce faisait entrevoir à la reine, dans un projet dont elle ne pénétrait ni l'impossibilité ni le danger. »
-- Madame Campan, sa première femme de chambre

         Le Hameau par Claude-Louis Châtelet, 1786 / zoom
La ferme de conte de fée où la reine s'éclipsait avec sa clique  

Elle décrit de façon vivante les clans, les potins et les intrigues de la cour de Louis XVI, et explique comment Marie-Antoinette prit son désastreux chemin. 

Passage au début de son mémoire

« Les gens sincèrement attachés à la reine ont toujours regardé comme un de ses premiers malheurs, peut-être même comme le plus grand [...] de n'avoir pas rencontré, dans la personne naturellement placée pour être son conseil, une personne indulgente, éclairée [...] qui aurait fait sentir à la jeune princesse qu'en France sa dignité tenait beaucoup aux usages [...] et surtout de garantir par un entourage imposant des traits mortels de la calomnie. »
-- Mémoires de Madame Campan, ed. 1988, pp. 52- 53, légèrement adapté 

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Marie-Antoinette n'avait même pas quinze ans quand elle épousa Dauphin...

Marie-Antoinette, Archduchess of Austria, age 12, 1767-1768 / zoom

Elle refusa de suivre les codes de la Cour, surtout le fait qu'à part l'obligation de donner des enfants à la France le rôle des reines n'était que cérémonial. En devenant l'icône de la mode elle souligna Paris comme centre d'élégance, mais défia l'obligation de rester dans l'ombre. 

Souvenirs de Léonard, coiffeur de la reine Marie-Antoinette / YouTube, zoom  (déroulez la page)

Pire, puisque Louis XVI n'avait pas d'ami intime, elle assuma involontairement le rôle de favori(te), la personne le plus proche du roi. Ces personnages étaient officiels, détestés — et presque indispensables : 

 

 
Diane de Poitiers, vers 1550 ; Leonora Galigai, vers 1615 ; le marquis de Cinq-Mars, vers 1640 ; la marquise de Montespan, vers 1670 ; la Marquise de Pompadour, vers 1640 ; la Comtesse du Barry, vers 1770

  • En tant que nobles, elles partageaient les dons du roi avec leurs clans, qui obtenaient ainsi l'accès temporaire au pouvoir sans risquer une révolte.

  • L'institution évolua : la monarchie beaucoup plus puissante de Louis XIV rendait les révoltes impossibles, et les favorites d'origine roturière de Louis XV (Jeanne Poisson devenue marquise de Pompadour et Jeanne Bécu devenue comtesse du Barry) n'avaient pas de clan a favoriser.
Mais des clans s'improvisèrent autour ou contre elles, favorisant les luttes d'influence et les intrigues qui donnait souvent son sens à la vie de cour étouffante et extrêmement onéreuse. 

Les favoris étaient aussi des paratonnerres dont l'extravagance concentrait la rage populaire sur eux-mêmes, laissant croire le roi bienveillant mais trompé.   

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Aussi, en choisissant un petit nombre de proches dans une cour hiérarchique où la proximité aux royaux déterminait l'identité, elle s'attira des ennemis puissants.*

*Louis XV avait déjà brisé les règles quand sa favorite, la Marquise de Pompadour, organisa et joua des comédies où seuls quelques privilégiés étaient invités. L'innovation a été rapidement annulée sous  prétexte de leur coût, mais en fait à cause de l'hostilité de courtisans exclus.
-- La Reine et la favorite de Simone Bertière, 2000, pp. 347-354 
 
Les dames qui se sont succédées comme meilleur amie de la reine étaient désintéressées...


La princess de Lamballe   zoom                                                      La comtesse de Polignac / zoom: 
                                                         Une aïeul de la famille royale de Monaco

Madame Campan dit de la comtesse de Polignac, "J'ai toujours cru que sa sincère attachement à la reine, autant que son goût pour la simplicité, lui faisait éviter tout ce qui pouvait faire croire à la richesse d'une favorite. Elle n'avait aucun des défauts qui accompagnent presque toujours ce titre." Ce qui n'était pas le cas de son clan.

La princesse de Lamballe, revenue d'Angleterre pour être près de reine quand son destin assombrit, a en été massacrée (à suivre).

Mais les faveurs qu'elles monopolisaient et la clique qui les entourait sont à l'origine de la tragédie. 

         Marie-Antoinette : l'Inconscience guillotinée, documentaire, 2022 / Internet (disparu) 

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« Qu'ils mangent de la brioche » est un des « faits alternatifs »
diffusés du Palais-Royal mais nés à Versailles...*
  
*Tel le pornographique Vie de Marie-Antoinette qu'on peut lire sur le web.

    Marie-Antoinette de Sophie Coppola avec Kristen Dunst, 2006 / stream 

Et qui restent : « Barack Antoinette », une journaliste nomma Obama pour fustiger une fête.  
-- Maureen Dowd commentant la célébration de son 60e anniversaire dans le New York Times

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L'inconscience de Marie-Antoinette
est une raison majeure pour la fin de cette royauté. 

« Les Parisiens se seraient très probablement repris d'amour pour le Roi [après la fuite à Varennes, à suivre]. Ils avaient eu de tout temps un faible pour le gros homme qui n'était nullement méchant, et qui, dans son embonpoint, avait un air de bonhommie béate et paterne, tout à fait au gré de la foule. [...] Les dames de la halle l'appelaient un bon papa ; c'était toute la pensée du peuple. »
--Michelet, p.77

*     *     *

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samedi 16 janvier 2016

UNE TÊTE D'OISEAU SE MONTRE À LA HAUTEUR

  

SON COURAGE FACE A UNE FOULE VOULANT LA TUER CONTREDIT SON IMAGE FRIVOLE

-- Michelet, républicain ardent, ne le dit pas mais c'est ce qui ressort de son récit (et de ceux qui suivent) ; pp. 51-59.

Le 5 octobre 1789 7-8,000 femmes saisissent des armes à l'Hôtel de Ville et marchent sur Versailles, pour demander du blé et ramener le roi à Paris.

La Fuite à Passy, estampe célèbre (Passy est une banlieue prospère sur la route de Versailles) / zoom

Des militantes menacent de couper les cheveux des femmes qui ne les rejoignent pas.

« La cause réelle, certaine, pour les femmes, pour la foule la plus misérable, ne fut autre que la faim. Ayant démonté un cavalier, à Versailles, ils tuèrent, mangèrent le cheval un peu près cru. 

[...] Les hommes auraient-ils marché sur Versailles, si les femmes n'eussent précédé ? Cela est douteux. Personnes avant elles n'eut l'idée d'aller chercher le Roi. »

Michelet sur l'engagement des femmes :
« Les grandes misères sont féroces, 
elles frappent plutôt les faibles. » 

Résumé : Elles étaient plus sujettes à la faim que les hommes, car plus isolées, avec des enfants qui pleuraient et mourraient ou des couturières travaillant seules. (Michelet ne mentionne pas les lavandières, dont le travail était sociable.) Pas toutes les militantes étaient sujettes à la faim, telles les marchandes des halles et les prostituées, mais elles étaient entourées de misère.

Faire revenir le roi à Paris :

« Le Roi doit vivre avec son peuple, voir ses souffrances, en souffrir, faire avec lui même ménage. [...] Si la Royauté n'est pas tyrannie, il faut qu'il y ait mariage, qu'il y ait communauté [...] N'était-ce pas une chose étrange et dénaturée, propre à sécher le cœur des rois, que de les tenir dans cette solitude égoïste, avec un peuple artificiel de mendiants dorés pour leur faire oublier le peuple ? Comment s'étonner qu'ils soient devenus, ces rois, étrangers, durs et barbares ? »  
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La marche était beaucoup plus dure que ne montre le film, car elle eut lieu par une froide journée d'octobre sous la pluie et dans la boue.  
  • L'agitation était profonde, mais la marche spontanée. Une femme saisit un tambour et avança par la ville en le battant...

 Cette photo et les prochaines viennent de La Révolution française de Robert Enrico1989 
L'enfant est imaginaire, mais l'entraînant appel du tambour était réel.

  • Les milliers de femmes et plusieurs centaines d'hommes habillés en femmes arrivent à Versailles vers 16h. La Garde nationale conduite par Lafayette et une foule d'hommes les rejoignent quelques heures plus tard.

Internet, source non nommée
Plusieurs centaines d'hommes déguisés en femmes sont sensés les avoir rejoint.  
  • Le roi accepte d'envoyer de la graine à Paris et de signer la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Pour vivre à Paris, il dit qu'il y réfléchira.
  • Les Parisiens passent la nuit dans la cour immense :

Lafayette, qui est responsable pour la sécurité du roi, croit que tout va bien, se couche et ne se réveille qu'après que la foule ait pris le palais d'assaut : on le nommera « le général Morphée ».

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Le 6 octobre à l'aube, la foule perce la grille et cherche la reine pour la tuer :




  • Des femmes de chambre ferment la porte à clé et l'aident à enfiler une robe :

Cette photo et celles qui suivent : Marie-Antoinette de Jean Delannoy avec Michèle Morgan, 1956

Elles prennent un passage secret qui conduit aux appartements du roi, mais il est parti les chercher. Elles courent à sa recherche. Une porte est fermée à clé : les domestiques n'entendent leurs frappes affolées qu'après cinq minutes.


  • Deux gardes qui tentent de protéger la reine sont tués :

     
« Massacre d'un Garde du Corps à la porte de l'appartement de la Reine, par des brigands », estampe de Jean-François Janinent / zoom


  • La reine et les femmes de chambre enfin rejoignent le roi, les enfants, leur gouvernante et Lafayette dans le salon qui surplombe la cour d'entrée :

     Le Général Lafayette conseil le roi et la reine le 6 octobre 1789  de Jean-Frédéric Shall, avant 1825 / zoom


  • Le roi refuse de laisser ses troupes tirer sur la foule et tente de lui parler...



  • Mais elle exige la reine qui vient sur le balcon avec les enfants. On crie « sans enfants ! »

 « Marie-Antoinette »



Après le réveil terrifiant et la course éperdue à travers le palais,
Marie-Antoinette affronte calmement la multitude qui avait voulu la tuer :



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Le roi est obligé de s'installer à Paris. Il demande seulement que sa famille l'accompagne. « La voiture royale, escortée, Lafayette à la portière, avançait comme un cercueil. » 

  • La foule les entoure, en brandissant les têtes des gardes assassinés sur des pikes. La cour dans une centaine de carrosses :

   Zoom 
 L'Évasion de Louis XVI  de Viktor Lazarevski, 2013
« Au milieu de cette troupe de cannibales s'élevaient les deux têtes des gardes du corps massacrés. Les monstres, qui en faisaient un trophée, eurent l'atroce idée de vouloir forcer un perruquier à recoiffer les deux têtes et à mettre de la poudre sur les cheveux ensanglantés »...
-Mémoires de Madame Campan 
  • À Paris on danse dans la rue pour fêter les arrivées des sacs de grain et de la famille royale :

          Louis XVI entre à Paris, le 6 octobre 1789 de Jacques François Joseph Sweback, 1789 / zoom



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Si vous visitez le château de Versailles
vous traverserez la cour 
et passerez sous le balcon.


Pensez à la foule, aux gardes massacrés
et au courage de Marie-Antoinette.

*       *

Suite,






jeudi 14 janvier 2016

« BONJOUR SIRE ! », LE SALUT ANNONCE DE CALAMITÉ


LES TENSIONS MONTENT. LE ROI PART SECRÈTEMENT POUR
LA FRONTIÈRE. IL EST ARRÊTÉ ET RAMMENÉ À PARIS.
(LES 20-24 JUIN 1791).

-- Récits principaux : La Fuite à Varennes dans « Histoire de la Révolution française » par Jules Michelin, 1847 et 

Mémoires de 

Madame la Duchesse de Tourzel,

 gouvernante des enfants de France, ed. 1986, avec ses notes ou celles de l'éditeur. Le roi s'enfuit par Timothy Tackett, 2004.

« La Fuite à Varennes » (l'insignifiant bourg frontalier où Louis est arrêté) mit fin à l'aura de la monarchie. L'événement est considéré aussi important que la prise de la Bastille.

« Un homme à cheval accourt par derrière au grand galop, s'arrête droit devant eux, et, dans les ténèbres, crie, "De par la Nation, arrête, postillon ! tu mènes le Roi !" Tout resta stupéfié. 
-- Michelet, p.163 

Les historiens disent qu'une fuite réussie aurait conduit à la guerre civile. Mais ils ne voient pas que c'était exactement ce que le roi voulait, car ils se détournent de détails qui leur semblent incompréhensibles.

Cette page raconte l'histoire. La prochaine concerne ces détails.


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La route existe toujours :

  Zoom
Le centre de Varenne a été dévasté par les deux guerres mondiales. Seul un panneau sur le site de l'épicerie où le roi et son entourage ont  du passer la nuit, maintenant un poste de police, rappel le drame. 

Bondy : le bourg où la famille royale se joint à deux femmes de chambre avec les bagages et échange le véhicule ordinaire avec lequel elle quitte Paris pour un carrosse spectaculaire.

Chalons : La ville où les notables offrent aux fugitifs un répit pendant le terrible retour. La foule tue un royaliste fervent et met sa tête sur une pique. Trois membres du gouvernement arrivent pour imposer l'ordre.

Sainte-Menehould : Le relai de poste où le roi est reconnu. 

Montmédy : Une citadel à la frontière des terres autrichiennes (aujourd'hui la Belgique) où les forces royalistes se concentrent et où Louis souhaite se replier.


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L'histoire

  • Le départ est remis plusieurs fois, en dernier lieu pour coïncider avec le jour de congé d'une domestique dont on se méfie.* 

*« Placée auprès de la reine dès le temps de son mariage, Sa Majesté, accoutumée à la voir, aimait son adresse et son intelligence. Son sort était au dessus de celui qui devait avoir une femme de sa classe » (Gras ajouté : cette remarque éclaire peut-être l'animosité de la servante à une époque où l'insistence sur l'égalité était devenu une attitude populaire de base.) 
-- Mémoires de Madame Campan, p. 340

  • Ce changement oblige les troupes envoyées de la frontière de rester dans la région beaucoup plus longtemps que les quelques heures prévues, ce qui déstabilise les populations. Viennent-elles saisir les droits féodaux impayés ? Annoncent-t'elles une invasion ? L'explication officiel, de protéger des fonds envoyés pour payer les troupes, ne passe pas.
  • Les roi se déguise en « Monsieur Durand », l'homme d'affaires d'une baronne jouée par la gouvernante du Dauphin :

 Les photos qui suivent sur cette page et la suivante viennent de L'Évasion de Louis XVI , film pour la télévision de Viktor Lazarevski, 2013.

Marie-Antoinette prétend être sa servante. Le petit Dauphin est habillé en fille, et la princesse de treize ans en robe de roturière.

  • Le roi fait distribuer les largesses par un garde, se souciant peu d'être reconnu :

« Regardes ! On m'a donné un louis ! »
 « Un louis pour indiquer la route ? C'est impossible ! »

En réalité il est reconnu par son profile sur la nouvelle monnaie en papier.
 
  • Des inattendus à Paris et la lourdeur du carrosse expliquent les trois heures de retard au rendezvous avec l'escorte royaliste. Inquiet de l'agitation que cause la présence des troupes et supposant le voyage encore remit, le commandant ordonne son départ une demi-heure avant que le roi arrive.  

  • Les voyageurs inquiets continuent au prochain bourg. Ils voient que les hussars royalistes sont partis boire dans les tavernes, où ils fraternisent avec les habitants. Le groupe pursuit sa route.

  • Jean Drouet, propriétaire du relai à Sainte-Menehould, reconnait Louis en changeant les chevaux. Ardent révolutionnaire, il persuade les notables que les voyageurs sont la famille royale. Ils lui permettent de partir au galop avec un ami pour les faire arrêter.
Prenant des raccourcis, ils arrivent à Varennes quelques minutes après le carrosse.

  • Il est 23h et tout le monde dort, sauf quelques Jacobins qui boivent dans une taverne. À la demande passionnée de Drouet ils bloquent la sortie de la ville. Les gardes, qui ne sont pas armés, ne les empêchent pas.

  • Le maire est à Paris. L'épicier qui le remplace ne sait pas quoi faire. Pour laisser évoluer la situation, il propose d'héberger les voyageurs dans les chambres au dessus de son commerce jusqu'au matin : n'ayant pas le choix, ils acceptent.

Marie-Antoinette entre pour la seule fois de sa vie dans une habitation qui soit ni un palais ni une prison. 

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« Bonjour Sire ! » Quand un habitant qui a vu les royaux à Versailles confirme que ces passants sont le roi et la reine, Louis admet son identité :

« Ce Bonjour Sire ! fut pour Louis XVI, pour Marie-Antoinette et pour Madame Elisabeth la guillotine, pour le dauphin l'agonie du Temple ; pour Madame Royale, l'extinction de sa race et l'exile. » 
-- Victor Hugo, cité dans les Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel note 3, p. 199.

  • Drouet fait sonner le tocsin. L'appel se répand :

« Cependant le bruit du tocsin augmentait d'une manière extraordinaire. C'était les cloches des villages, qui, mises en branle par celles qui sonnaient à Varennes, sonnaient à leur tour le tocsin. Toute la campagne ténébreuse était en émoi ; du clocher on aurait pu voir courir des petites lumières qui s'attiraient, se cherchaient ; une grande nuée d'orage se concentraient de toute part ; une nuée d'hommes armés, plein d'agitation, de trouble. »
-- Michelet, p. 166
 

  • Une masse afflue avec des roulements de tambours, des bannières, des fourches et des fusils. Deux représentants du gouvernement arrivent, avec une lettre qui confirme la fuite du roi et ordonne qu'on l'empêche d'aller plus loin. La population insiste qu'il soit ramené à Paris.

  • Le matin, le roi tente de remettre le départ, espérant l'arrivée des troupes royalistes, la frontière n'étant qu'à quarante kilomètres. Le commandant ne peut compter que sur des mercenaires allemands : quand ils arrivent ils voient le lointain nuage de poussière du à la multitude qui encadre le roi.

« Des barricades sur la route. Ils trouvent un gué, le passent. Au delà, c'est un canal. Ils cherchent à le passer. [...] Les Allemands commencent à dire que leurs chevaux n'en peuvent plus. [Ils apprennent que] la garnison de Verdun marche en force vers eux. »
-- Michelet, p. 171

Ils s'en vont.

  •  Des milliers de personnes se relaient pour entourer le carrosse pendant le voyage à Paris, qui prend quatre jours : 


   Sans-culottes en armes de Jean-Baptiste Lesueur / zoom

  • Les royaux subissent la chaleur de juin et étouffent sous la poussière qu'apporte la multitude. À chaque village ils doivent écouter l'harangue du maire inspiré des journaux parisiens. 
Les gardes, perchés sur les toits des véhicules, subissent en plus les huées et les menaces des foules.

  • À Chalons, ville sans industrie donc sans population révolutionnaire, les notables reçoivent le groupe avec cérémonie. La quatrième nuit après avoir quitté Paris, il dort enfin.

Le répit ne dure pas : des foules venues de Reims obligent l'arrêt d'une messe et un comte à cheval, qui porte la Croix de Saint Louis et cri« Vive le roi ! », est massacré. Sa tête et son chapeau sanglant sont brandis sur des piques. 

  • Trois émissaires de l'Assemblée nationale arrivent. Ils imposent l'ordre, mais le carrosse ne peut avancer que pas à pas. À l'approche de Paris, les foules deviennent plus nombreuses et plus hostiles encore. 

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À Paris des affiches interdisent les manifestations. La population s'aligne en silence au bord des rues, mais éclate en applaudissements quand Jean Drouet apparaît en tête de cortège.*

*Sa vie :
    • Il deviendra délégué au futur gouvernement et votera la mort du roi.
    • Capturé par les Autrichiens, il sera parmi les prisonniers échangés contre la très jeune fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette.
    • Condamné à être guillotiné pour sa participation à un complot, il s'échappera.
    • Il sera sous-préfet à Sainte-Menehould.
    • Napoléon le décorera en disant, « Vous avez changé la face du monde ». 
    • Poursuivi à la  Restauration, il finira dans la clandestinité.

La procession fait le tour de la ville pour entrer à Paris par l'ouest prospère, évitant les quartiers populaires et radicalisés à l'est...


Le retour de Varennes le 25 juin 1791, 1791, de Jean Duplessis Bertaux / zoom

  •  À la place de la Concorde elle passe devant la statue royale. Michelet dit que ses yeux sont bandés pour signifier l'aveuglement de la monarchie.

Retour du roi et de sa famille après la fuite à Varennes, estampe anonyme / zoom

  • Les hommes ne se découvrent pas :

Retour de la famille royale à Paris le 25 juin, 1791, anonyme, zoom

L'entrée du palais des Tuileries, destination des royaux, est à droite.

L'homme d'Église est l'exception : la moitié du clergé n'avait pas accepté la Constitution civile du clergé (qui plaçait le gouvernement au dessus du pape) et était souvent contre-révolutionnaire.

Le groupe royal peut entrer au palais, mais les gardes sont presque massacrés. Des membres de la Garde nationale les sauvent de justesse.

Marie-Antoinette se regarde dans un miroir et voit que ses cheveux blonds sont devenus blancs.


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Les députés sont des gens aisés, car seuls les propriétaires payant des impôts peuvent voter. Pour eux le roi est un bastion contre la rueet la vie des royaux continue donc à peu près comme avant — sauf pour la surveillance.*

* Un garde reste à cote de la chambre de la reine pendant quelle dort, les rideaux du lit formant un écran. La porte reste ouverte sauf quand elle s'habille. 

Un corridor entre les chambres du roi et de la reine est surveillée vingt-quatre heures par jour, pour empêcher leur communication. Un comédien tente d'être souvent de garde, pour leur laisser quelques minutes d'entretien.
-- Madame Campan, pp. 347-348

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« Quoi ! Le roi se sauve ! Le roi passe à l'ennemi ! il trahit la nation!  

Un père livrer ses enfants !... Nos paysans de France n'avaient guère encore d'autre notion politique que celle du gouvernement paternelle ; c'étaient moins l'idée révolutionnaire que les rendaient furieux que qui l'idée affreuse, impie, des enfants livrés par un père, de la confiance trompée !  »
-- Michelet, p. 166

La monarchie ne s'en remettra jamais.


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Une monarchie constitutionnelle aurait protégé
 la France de la peur et du chaos
que la fuite contribua à déchaîner. 
En mettant fin à cette autorité
le roi prépare la Terreur.

*    *    *

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