mardi 12 janvier 2016

LA FUITE DU ROI REVISITÉE : LES LIVRÉES JAUNES DES GARDES


« PERSONNE N'AVAIT RECONNU LE COUPLE ROYAL, MAIS TOUT LE MONDE AVAIT RECONNU LE LIVRÉES JAUNES DU PRINCE DE CONDÉ... »

Douze pages plus loin :

« LE DÉTESTÉ CHEF EMIGRÉ D'UNE ARMÉE CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE, ET SEIGNEUR DE TRÈS NOMBREUSES TERRES DE LA RÉGION. »

-- Le roi s'enfuit de Timothy Tackett, 2004, p. 101. et 89.

Ces faits sont mentionnés en passant, sans commentaire. Dans un récit élargi de la Révolution écrit plus tard, l'historien n'en dira rien. 

-- Anatomie de la Terreur, 2015, p. 130.

L'Évasion de Louis XVI 
Le film omet les livrées parce qu'il suit les historiens. 

Harald Wolff
Ce dessin suit les sources. 

Autres énigmes :


  • Pourquoi la famille royale ne prit-elle pas des routes séparées en véhicules ordinaires, ce qui aurait presque certainement réussi ?  

    • D'innombrables nobles avait traversé la frontière depuis la chute de la Bastille deux ans plus tôt. Le frère du roi, voyageant avec un passeport anglais et un seul serviteur, quitta Paris par une autre route le même jour que le roi et passa à l'étranger sans incident, comme le fit sa femme et Axel von Fersen (« l'Ami » de Marie-Antoinette et avec elle l'organisateur de la fuite). Un an plus tard, l'écrivain royaliste René de Chateaubriand et son frère eurent des problèmes non pas par leurs passeports ou déguisements comme marchands de vin, mais à cause d'un valet somnambule. À la fin de 1791 environ 10,000 nobles avaient quitté le pays, passant par Paris sans cacher leur destination. 
--Valet, Chateaubriand, Mémoires, ed. 1973; émigrés, 283-284 Tackett, Terreur, pp. 128-129.

 

    • La famille royale aurait du être encore plus tranquille, puisqu'elle ne quittait pas la France. En prenant des routes différentes, habillés comme roturiers et utilisant des voitures banales, le seule danger sérieux était de se glisser hors Paris. 
Mais onze personnes — Louis, Marie-Antoinette, le Dauphin, la princesse, leur gouvernante, la sœur de Louis, deux femmes de chambre dans un deuxième carrosse et trois gardes — ont voyagé ensemble. 

Pourquoi ajouter au spectacle en faisant peindre le carrosse principale, colossal, en couleurs voyantes, vert et noir ou rouge et jaune (les estampes de la page précédente montrent les deux versions).

 

  • Pourquoi des hommes qui aurait eu une valeur inestimable en cas de problème, étaient-ils écartés ? Le comte d'Agoult, qui connaissait la route, était prêt à prendre place dans le carrosse principal et le comte von Fersen, combattant aguerri, souhaitait l'accompagner à cheval. Passionnément amoureux de Marie-Antoinette, il aurait donné sa vie pour la famille royale. 
    Une de ses créations / zoom


    • Pourquoi inclure le coiffeur de Marie-Antoinette, Monsieur Léonard (qui prit une autre route sans problème) ?  

    Dans une ville provinciale la reine devait amener son  coiffeur. Mais il aurait pu arriver le lendemain...   
     

    # # #


    • En ce qui concerne les gardes, pourquoi en avoir trois quand un seul pouvait galoper vers les relais  pour préparer des chevaux frais ? Pourquoi choisir par hasard des subordonnés entraînes à suivre des ordres mais pas à prendre des initiatives, qui ne connaissaient pas la route et qui n'avaient jamais combattu, plutôt que des vétérans aguerris ? Pourquoi n'étaient-ils pas armés ? 

    Le Roi avait demandé à Monsieur d'Agoult, aide-major des gardes du corps, de lui en donner trois pour porter des lettres aux princes, ses frères ; et ignorant leur véritable destination, il lui avait donné les trois premiers qui s'étaient trouvés sous sa main. En ne pouvait sans injustice mettre en doute leur courage et leur dévouement ;

     

    [...] mais accoutumés par leur grade à une parfaite obéissance, et n'ayant jamais commandé en chef,  une pareille entreprise était au dessus de leurs forces. Ils n'oseraient rien prendre sur eux, demandèrent des ordres au Roi, qu'ils auraient exécutés,  même au péril de leurs vie, mais ils manquèrent de l'audace nécessaire dans la circonstance où l'on se trouvait.
     

    -- Madame de Tourzel, pp. 257-258.


    • Pourquoi l'escorte ? Puisque Louis a écrit au commandant de l'annuler s'il paraissait déstabiliser la population, elle n'était pas nécessaire à sa protection.

    • Pourquoi décaler les centaines de cavaliers après Chalons pour qu'ils rejoignent la cohorte progressivement ?  

    « Monsieur de Bouillé avait placé les troupes pour protéger la famille royale* de la façon suivante : à Pont-de-Somme-Vesle, quarante hussards commandés par le duc de Choiseul ; à Sainte-Menehould, quarante dragons commandés par le capitaine d'Andouins ; à Clermont, cent quarante dragons commandés par le comte de Damas. À Varennes, soixante hussards commandés par le fils de M. de Bouillé et à Dun, cent hussards commandés par le chef de l'éscadron, M. Deslon. »
        -- Madame de Tourzel, p. 612 n.87

    * Elle n'aurait pas donné la raison réelle, même si elle la connaissait. 

    • Les uniformes voyants de ces cavaliers ne les feraient-ils pas sembler encore plus terrifiants ? 

    Troupes hessoises pendent la guerre américaine d'Indépendance, 1799, d'après Conrad Gessner / zoom

    « Le roi avait choisi pour amener sur nos champs les hussars et les pandours, la cavalerie voleuse, mangeuse, outrageuse, gâcher la vie de la France sous les pieds des chevaux, assurer la famine pour l'année à venir», a écrit Michelet.

    Les historiens disent qu'ils n'y comprennent rien. Deux debuts de récits : « Le voyage à Varennes fut un miracle d'imprudence »,  « Une incompréhensible Odyssée ».*

    * Michelet, et le titre d'un chapitre dans Varennes, la mort de la royauté par Mona Ozouf, 2005.

    # # #

    Mon grain de sel:

    La fuite joignait l'échappée du roi au retour de l'Ancien Régime. Ce message était dirigé vers les émigrés concentrés à la frontière et à la population qui, Louis croyait, restait attaché aux habitudes voulues par Dieu. 

    *Sa bulle s'explique par son éducation, son entourage et son ignorance de la France. Sa seule excursion du monde de la cour était un voyage en Bretagne, où la cordialité de l'accueil a renforcé sa foi dans la popularité du régime.  

    En ce qui concerne les émigrés, Louis arriverait en tenue de roturier et pire encore, comme serviteur. Ils se demanderaient si une restauration par un roi qui défiait ainsi l'hiérarchie sociale leur rendrait leur domination : Louis devait souligner la tradition. 

    On comprend alors :

    • Le voyage en famille et le carrosse spectaculaire.


    • L'inclusion de la gouvernante, dont la charge interdisait d'être séparée des enfants sans son consentement. Elle dit dans ses mémoires qu'elle aurait cédé sa place si on le lui avait demandé, mais ce changement aurait paru une transgression. 
     
    • L'exclusion de Ferson. Seul un Français de haut rang devait accompagner le roi dans une mission d'une telle importance, et il était suédois.  

    • Monsieur Léonard était célèbre pour la creation de coiffures, comme celle montrée ci-dessus. Sa présence indiquerait que l'Ancien Régime reviendrait dans son intégralité.

    L'escorte :

      • Les cavaliers français et allemands rejoindraient la marche groupe par groupe, créant un cortège comme ceux qui avaient toujours accompagné les déplacements royaux. Marie-Antoinette se souvenait de sa réception à Chalons quand, â quatorze ans, elle arrivait de l'Autriche dans un carrosse conduit par huit chevaux blancs : la ville avait construit un arc de triomphe* en son honneur et la population des alentours était venue l'applaudir. 

     *Seule la façade avait été complétée. L'arc non fini reste le symbole de la ville.  

    • En leurs uniformes splendides ils précéderaient, entoureraient et suivraient le carrosse, le cœur d'une procession conçue pour éblouir.

    Les gardes et leurs livrées jaunes vif* :

    • Traversant la région perchés sur le toit du carrosse ou l'accompagnant à cheval, ils annonçaient à une population supposée fidèle le retour de la société millénaire. Ensuite, tous trois sur le toit, ils salueraient la foule en liesse.  

    *À l'enquête ils ont dit que le choix était un hasard. Mais les livrées identifiaient les nobles (ainsi on savait qui avait visité Madame du Barry après sa disgrace, dit dans ses mémoires Madame Campon). Que les gardes, eux-mêmes des nobles, aient ignoré la couleur des livrées du Prince de Condé, cousin du roi, est impossible. 


    Par une lumineuse soirée de juin le roi ferait son entrée à Montmédy, et ayant échangé sa tenue de roturier pour ce costume magnifique, annoncerait la renaissance de l'Ancien Régime :  

    Portait de Louis XVI de France de Antoine-François Callent, 1786, zoom


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    Les gardes dans leurs livrées étaient la clé de l'épopée. Leur présence pendant le voyage clamait à tout l'est de la France (les bruits courants de marché à marché) le retour de l'Ancien Régime. À Montmédy ils feraient de même, saluant les applaudissements du haut du carrosse.

    Par le choix de ces livrées Louis s'est approprié une haine jusqu'alors dirigée contre les seigneurs, pas contre la monarchie distante et supposée paternelle. 

    Des accidents et de la mal chance expliquent l'arrêt des voyageurs. Mais la furie que les livrées aidèrent à provoquer empêcha leur sauvetage par les forces royalistes et rendirent le retour encore plus terrible — les gardes subissant injures et menaces et risquant leurs vies, du toit du carrosse.  

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    Ressortant de cette histoire est la myopie,
    de Louis évidemment mais aussi des historiens,
    qui négligent ce qui leur semble inexplicable. 


    *    *    *

    Suite,



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