jeudi 14 janvier 2016

« BONJOUR SIRE ! », LE SALUT ANNONCE DE CALAMITÉ


LES TENSIONS MONTENT. LE ROI PART SECRÈTEMENT POUR
LA FRONTIÈRE. IL EST ARRÊTÉ ET RAMMENÉ À PARIS.
(LES 20-24 JUIN 1791).

-- Récits principaux : La Fuite à Varennes dans « Histoire de la Révolution française » par Jules Michelin, 1847 et 

Mémoires de 

Madame la Duchesse de Tourzel,

 gouvernante des enfants de France, ed. 1986, avec ses notes ou celles de l'éditeur. Le roi s'enfuit par Timothy Tackett, 2004.

« La Fuite à Varennes » (l'insignifiant bourg frontalier où Louis est arrêté) mit fin à l'aura de la monarchie. L'événement est considéré aussi important que la prise de la Bastille.

« Un homme à cheval accourt par derrière au grand galop, s'arrête droit devant eux, et, dans les ténèbres, crie, "De par la Nation, arrête, postillon ! tu mènes le Roi !" Tout resta stupéfié. 
-- Michelet, p.163 

Les historiens disent qu'une fuite réussie aurait conduit à la guerre civile. Mais ils ne voient pas que c'était exactement ce que le roi voulait, car ils se détournent de détails qui leur semblent incompréhensibles.

Cette page raconte l'histoire. La prochaine concerne ces détails.


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La route existe toujours :

  Zoom
Le centre de Varenne a été dévasté par les deux guerres mondiales. Seul un panneau sur le site de l'épicerie où le roi et son entourage ont  du passer la nuit, maintenant un poste de police, rappel le drame. 

Bondy : le bourg où la famille royale se joint à deux femmes de chambre avec les bagages et échange le véhicule ordinaire avec lequel elle quitte Paris pour un carrosse spectaculaire.

Chalons : La ville où les notables offrent aux fugitifs un répit pendant le terrible retour. La foule tue un royaliste fervent et met sa tête sur une pique. Trois membres du gouvernement arrivent pour imposer l'ordre.

Sainte-Menehould : Le relai de poste où le roi est reconnu. 

Montmédy : Une citadel à la frontière des terres autrichiennes (aujourd'hui la Belgique) où les forces royalistes se concentrent et où Louis souhaite se replier.


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L'histoire

  • Le départ est remis plusieurs fois, en dernier lieu pour coïncider avec le jour de congé d'une domestique dont on se méfie.* 

*« Placée auprès de la reine dès le temps de son mariage, Sa Majesté, accoutumée à la voir, aimait son adresse et son intelligence. Son sort était au dessus de celui qui devait avoir une femme de sa classe » (Gras ajouté : cette remarque éclaire peut-être l'animosité de la servante à une époque où l'insistence sur l'égalité était devenu une attitude populaire de base.) 
-- Mémoires de Madame Campan, p. 340

  • Ce changement oblige les troupes envoyées de la frontière de rester dans la région beaucoup plus longtemps que les quelques heures prévues, ce qui déstabilise les populations. Viennent-elles saisir les droits féodaux impayés ? Annoncent-t'elles une invasion ? L'explication officiel, de protéger des fonds envoyés pour payer les troupes, ne passe pas.
  • Les roi se déguise en « Monsieur Durand », l'homme d'affaires d'une baronne jouée par la gouvernante du Dauphin :

 Les photos qui suivent sur cette page et la suivante viennent de L'Évasion de Louis XVI , film pour la télévision de Viktor Lazarevski, 2013.

Marie-Antoinette prétend être sa servante. Le petit Dauphin est habillé en fille, et la princesse de treize ans en robe de roturière.

  • Le roi fait distribuer les largesses par un garde, se souciant peu d'être reconnu :

« Regardes ! On m'a donné un louis ! »
 « Un louis pour indiquer la route ? C'est impossible ! »

En réalité il est reconnu par son profile sur la nouvelle monnaie en papier.
 
  • Des inattendus à Paris et la lourdeur du carrosse expliquent les trois heures de retard au rendezvous avec l'escorte royaliste. Inquiet de l'agitation que cause la présence des troupes et supposant le voyage encore remit, le commandant ordonne son départ une demi-heure avant que le roi arrive.  

  • Les voyageurs inquiets continuent au prochain bourg. Ils voient que les hussars royalistes sont partis boire dans les tavernes, où ils fraternisent avec les habitants. Le groupe pursuit sa route.

  • Jean Drouet, propriétaire du relai à Sainte-Menehould, reconnait Louis en changeant les chevaux. Ardent révolutionnaire, il persuade les notables que les voyageurs sont la famille royale. Ils lui permettent de partir au galop avec un ami pour les faire arrêter.
Prenant des raccourcis, ils arrivent à Varennes quelques minutes après le carrosse.

  • Il est 23h et tout le monde dort, sauf quelques Jacobins qui boivent dans une taverne. À la demande passionnée de Drouet ils bloquent la sortie de la ville. Les gardes, qui ne sont pas armés, ne les empêchent pas.

  • Le maire est à Paris. L'épicier qui le remplace ne sait pas quoi faire. Pour laisser évoluer la situation, il propose d'héberger les voyageurs dans les chambres au dessus de son commerce jusqu'au matin : n'ayant pas le choix, ils acceptent.

Marie-Antoinette entre pour la seule fois de sa vie dans une habitation qui soit ni un palais ni une prison. 

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« Bonjour Sire ! » Quand un habitant qui a vu les royaux à Versailles confirme que ces passants sont le roi et la reine, Louis admet son identité :

« Ce Bonjour Sire ! fut pour Louis XVI, pour Marie-Antoinette et pour Madame Elisabeth la guillotine, pour le dauphin l'agonie du Temple ; pour Madame Royale, l'extinction de sa race et l'exile. » 
-- Victor Hugo, cité dans les Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel note 3, p. 199.

  • Drouet fait sonner le tocsin. L'appel se répand :

« Cependant le bruit du tocsin augmentait d'une manière extraordinaire. C'était les cloches des villages, qui, mises en branle par celles qui sonnaient à Varennes, sonnaient à leur tour le tocsin. Toute la campagne ténébreuse était en émoi ; du clocher on aurait pu voir courir des petites lumières qui s'attiraient, se cherchaient ; une grande nuée d'orage se concentraient de toute part ; une nuée d'hommes armés, plein d'agitation, de trouble. »
-- Michelet, p. 166
 

  • Une masse afflue avec des roulements de tambours, des bannières, des fourches et des fusils. Deux représentants du gouvernement arrivent, avec une lettre qui confirme la fuite du roi et ordonne qu'on l'empêche d'aller plus loin. La population insiste qu'il soit ramené à Paris.

  • Le matin, le roi tente de remettre le départ, espérant l'arrivée des troupes royalistes, la frontière n'étant qu'à quarante kilomètres. Le commandant ne peut compter que sur des mercenaires allemands : quand ils arrivent ils voient le lointain nuage de poussière du à la multitude qui encadre le roi.

« Des barricades sur la route. Ils trouvent un gué, le passent. Au delà, c'est un canal. Ils cherchent à le passer. [...] Les Allemands commencent à dire que leurs chevaux n'en peuvent plus. [Ils apprennent que] la garnison de Verdun marche en force vers eux. »
-- Michelet, p. 171

Ils s'en vont.

  •  Des milliers de personnes se relaient pour entourer le carrosse pendant le voyage à Paris, qui prend quatre jours : 


   Sans-culottes en armes de Jean-Baptiste Lesueur / zoom

  • Les royaux subissent la chaleur de juin et étouffent sous la poussière qu'apporte la multitude. À chaque village ils doivent écouter l'harangue du maire inspiré des journaux parisiens. 
Les gardes, perchés sur les toits des véhicules, subissent en plus les huées et les menaces des foules.

  • À Chalons, ville sans industrie donc sans population révolutionnaire, les notables reçoivent le groupe avec cérémonie. La quatrième nuit après avoir quitté Paris, il dort enfin.

Le répit ne dure pas : des foules venues de Reims obligent l'arrêt d'une messe et un comte à cheval, qui porte la Croix de Saint Louis et cri« Vive le roi ! », est massacré. Sa tête et son chapeau sanglant sont brandis sur des piques. 

  • Trois émissaires de l'Assemblée nationale arrivent. Ils imposent l'ordre, mais le carrosse ne peut avancer que pas à pas. À l'approche de Paris, les foules deviennent plus nombreuses et plus hostiles encore. 

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À Paris des affiches interdisent les manifestations. La population s'aligne en silence au bord des rues, mais éclate en applaudissements quand Jean Drouet apparaît en tête de cortège.*

*Sa vie :
    • Il deviendra délégué au futur gouvernement et votera la mort du roi.
    • Capturé par les Autrichiens, il sera parmi les prisonniers échangés contre la très jeune fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette.
    • Condamné à être guillotiné pour sa participation à un complot, il s'échappera.
    • Il sera sous-préfet à Sainte-Menehould.
    • Napoléon le décorera en disant, « Vous avez changé la face du monde ». 
    • Poursuivi à la  Restauration, il finira dans la clandestinité.

La procession fait le tour de la ville pour entrer à Paris par l'ouest prospère, évitant les quartiers populaires et radicalisés à l'est...


Le retour de Varennes le 25 juin 1791, 1791, de Jean Duplessis Bertaux / zoom

  •  À la place de la Concorde elle passe devant la statue royale. Michelet dit que ses yeux sont bandés pour signifier l'aveuglement de la monarchie.

Retour du roi et de sa famille après la fuite à Varennes, estampe anonyme / zoom

  • Les hommes ne se découvrent pas :

Retour de la famille royale à Paris le 25 juin, 1791, anonyme, zoom

L'entrée du palais des Tuileries, destination des royaux, est à droite.

L'homme d'Église est l'exception : la moitié du clergé n'avait pas accepté la Constitution civile du clergé (qui plaçait le gouvernement au dessus du pape) et était souvent contre-révolutionnaire.

Le groupe royal peut entrer au palais, mais les gardes sont presque massacrés. Des membres de la Garde nationale les sauvent de justesse.

Marie-Antoinette se regarde dans un miroir et voit que ses cheveux blonds sont devenus blancs.


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Les députés sont des gens aisés, car seuls les propriétaires payant des impôts peuvent voter. Pour eux le roi est un bastion contre la rueet la vie des royaux continue donc à peu près comme avant — sauf pour la surveillance.*

* Un garde reste à cote de la chambre de la reine pendant quelle dort, les rideaux du lit formant un écran. La porte reste ouverte sauf quand elle s'habille. 

Un corridor entre les chambres du roi et de la reine est surveillée vingt-quatre heures par jour, pour empêcher leur communication. Un comédien tente d'être souvent de garde, pour leur laisser quelques minutes d'entretien.
-- Madame Campan, pp. 347-348

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« Quoi ! Le roi se sauve ! Le roi passe à l'ennemi ! il trahit la nation!  

Un père livrer ses enfants !... Nos paysans de France n'avaient guère encore d'autre notion politique que celle du gouvernement paternelle ; c'étaient moins l'idée révolutionnaire que les rendaient furieux que qui l'idée affreuse, impie, des enfants livrés par un père, de la confiance trompée !  »
-- Michelet, p. 166

La monarchie ne s'en remettra jamais.


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Une monarchie constitutionnelle aurait protégé
 la France de la peur et du chaos
que la fuite contribua à déchaîner. 
En mettant fin à cette autorité
le roi prépare la Terreur.

*    *    *

Suite,




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