jeudi 20 février 2025

PEUT-ON DIRE DU NEUF SUR PARIS ?

Version anglaise

YES !

En tant qu'historienne américaine qui habite Paris depuis des décennies, j'aimerais vous montrer cette ville fascinante à ma façon. Deux aspects m'intéressent particulièrement : la créativité des périphéries avec leurs immigrés et un passé généralement ignoré. 


LES PÉRIPHÉRIES,
OÙ LA CRÉATIVITÉ ACTUELLE FLEURIT
 
Paris abrite un nombre immense d'artistes de tout genre, dont la plupart sont d'origine étrangère et habitent non pas dans les lieux qui leur sont associés (Saint-Germain, Montmartre, Montparnasse) mais aux alentours méconnus, avec leurs loyers (presque) abordables. Le peintre dont les dessins parsèment ces pages, Harald Wolff, en est un exemple : il est allemand et habite Montreuil, une banlieue populaire à l'est.  


C'est dans ces lieux distants que d'importantes initiatives culturelles peuvent être lancées (pour des exemples cliquez ici et ici) et des essais expérimentés (pour un spectacle qui a fait des rues la scène, ici). 

Ils abritent des énergies immigrées florissantes. Prenez La Goutte d'Or, un quartier en partie africain à la frontière nordconnu en Afrique même pour sa couture et un cauldron pour l'art sociable de l'apparence que des immigrés inventent : 

Les photos sans crédit sont les miennes.
Vu à la rue Doudeauville, l'artère principale


  • Des affiches de coiffeurs proposend'innombrables styles. À leur origine, les panneaux des marchés africains :

Affiche de coiffeur dans une petite rue de La Goutte d'Or

Panneau du marché de Treichville à Abidjan, 1973. Remarquez la coupe « Kennedy ».

  • Des joueurs de foot s'en sont inspirés pour être identifiés à la télévision pendant la Coupe du Monde de 2014Les jeunes du monde entier les ont immédiatement adopté. 

  • Les barbiers Black restent le point de départ des styles de coupe, de barbes et de moustaches, les coiffeurs beaucoup plus rares des autres quartiers les copiant timidement.

Ces affiches révèlent la spécificité individuelle à l'intérieur d'une communauté homogène, philosophie que la convivialité des barbiers, des salons de beauté et des ateliers de tailleurs expriment.  

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DES CONTRADICTIONS AUX RÉCITS HABITUELS :
LES INSURRECTIONS DU XIXe SIÈCLE

  • On croit souvent que ces figures iconiques prennent la Bastille (en 1789), mais la Révolution de 1830 inspira le tableau. Ses trois jours de combats termina ce que la Révolution française avait commencé : éliminer définitivement le pouvoir des nobles, ce qui permit au capitalisme de prendre son envol.
 On n'en parle pas, du capitalisme non plus. 


La Liberté guide le peuple de Eugène Delacroix, 1830-1831 (coupé pour souligner les personnages) / zoom

  • La première révolte ouvrière majeure (5000 morts), les « Journées de Juin » 1848, est oubliée, comme l'est la terreur que les rebelles « barbares » inspira aux privilégiés. Un effet : l'arrivée du régime européen le plus autocratique de l'époque (le Second Empire, 1851-1870).

      Combat à la porte Saint-Denis, lithographie anonyme, 1848 / zoom

  • Un autre : la façon dont la ville encore médiévale a été transformée, en 1853-1869. Observer cette métamorphose montre sa priorité militaire, On ne le fait pas.

La flèche conduit à la Seine et au turbulent quartier Latin sur l'autre bord.

Un exemple est l'immense parvis de Notre-Dame, construit en 1853. Il rend l'église plus petite et moins imposante qu'aux époques où les maisons se blottissaient autour d'elle et diminue son message spirituel.

Combat à la rue Soufflot par Horace Vernet, 1848 / zoom 
Ce vaste espace était conçu pour assembler des troupes si le tumultueux quartier Latin se révoltait de nouveau (la peinture ci-dessus montre des étudiants soutenant les ouvriers en 1848). Démolir les bâtiments au long du parvis permettait son bombardement.

Sa fonction militaire était remarqué autrefois, mais ne l'est plus. 


  • La dernière, la plus tragique et de loin la plus importante des insurrections est celle qui mena à La Commune de Paris. Soutenue par des humbles, les dirigeants jeunes et sans expérience du pouvoir ont fait fonctionner la plus grande ville du continent (un million d'habitants) de mars à mai 1871 malgré une guerre civile, un siège et la fuite de la plupart des administrateurs.

Ils ont esquissé une société fraternelle en même temps.

          Proclamation de La Commune, le 26 mars, 1871, gravure anonyme / zoom

La sauvagerie de la répression, que presque toute la population aisée soutenait, annonce les calamités du XXe siècle.

Musée virtuelle du protestantisme (image disparue)
 
Elle inspire toujours à gauche...

Commemoration du 160e anniversaire (en 2021)

Mais autrement on n'en dit rien.

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Ces bouleversements ont contribué à former notre monde, mais ils sont minimisés, déformés ou omis. Le Musée Carnavalet (le musée historique), par exemple, montre les élites de façon superbe, mais pour les insurrections populaires présente...

  • Une Révolution française presque paisible. Les sans-culottes, les militants de rue responsables en grande partie pour la Terreur et la victoire, n'apparaissent que par quelques petites images au fond de la dernière des cinq salles.

  • Les combattants de 1830 comme des jeunes élégants et des jeunes filles aux boucles élaborées.


  • La Commune par un couloir de quelques mètres entre deux salles consacrées aux élites. Des portraits généralement sans pertinence s'alignent sur un des murs. Les deux petites gravures de carnage qui leur font face sont cachées par les reflets d'une vitrine.

Les manuels scolaires, les panneaux historiques et la plupart des historiens ont un parti pris similaire.

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CES CHOIX SONT-ILS VOLONTAIRES ?  

Ceux du musée le sont, puisqu'une rénovation rend les omissions encore plus flagrantes (pour La Commune cliquez ici et ici). Mais que le public accepte non seulement son biais mais une vue du passé dans l'ensemble similaire, a une explication plus profonde.  

Dans tout société une multitude de détails renforce les élites. Sous l'Ancien Régime, par exemple, la croyance en une hiérarchie voulue par Dieu était si largement renforcée que les plus pauvres roturiers s'insultaient en criant, « ton père était un valet ! »  

Un Paris sacchariné fait de même pour les seigneurs de notre temps, les milliardaires. Ignorer l'inventivité des immigrés, minimiser les insurrections populaires et souligner les individus en oubliant les masses sont parmi les innombrables moyens de renforcer la division et la passivité. 

La croyance en la supériorité des nobles a disparu avec le changement économique. Pour nous, quand le capitalisme deviendra insupportable les certitudes qui le maintiennent céderont peut-être aux croyances fraternels que les communards ont brièvement mis en pratique.

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Vous n'aurez pas besoin de vos baskets pour découvrir la ville par ce « blook » (un book —  « livre » en anglais —  qui utilise le web comme un blog), qui présente ses idées rapidement avec des gros titres et des images. L'indexe, sous le menu à droite, permet d'accéder rapidement aux points principaux. Épilogue suggère leur pertinence plus large.  
 
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Sa deuxième partie, Histoire, un autre regard, montre comment une approche économique peut transformer le sens des événements, et comment elle explique ces lacunes.  

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Des liens vers la suite 
introduisent chaque section.
Cliquez sur le premier pour suivre le déroulement,
ou sur celui qui indique un sujet particulier.

Suite, 



 

mercredi 12 février 2025

0.1. D'OÙ VIENNENT CES IDÉES ?

 

J'AI GRANDI DANS UNE PETITE VILLE PRÈS DE NEW YORK...

où Maman ressortait par son accent français et son élégance parisienne. Indifférente aux équipes sportives, aux pom-pom girls et détestant Elvis, elle m'élevait à la française. Les coutumes de notre « hometown » et de Paris étaient si différentes ! Confronter deux vérités conduit à réfléchir.

Passant une année à la Sorbonne, j'étais captivée par l'histoire française, que je comprenais comme des exploits d'individus dans un contexte largement politique. Mais un jeune homme rencontré en attendant un cours pensait autrement : pour lui, les événements, les habitudes, les croyances n'étaient compréhensibles qu'étant placés dans leur contexte économique. « Et cela », a-t'il dit, « vient de Karl Marx ».

Ma fascination pour Paris a duré plus longtemps que notre mariage et je vis toujours dans cette ville magnifique. 

Mon père était professeur, et je me dirigeai vers l'université (licence Vassar, maîtrise Harvard, doctorat Columbia, toujours en histoire). Mais enseigner dans les facultés françaises sans diplôme français était impossible à l'époque. Je suis donc devenue guide en tourisme, et ce blook en est la suite.


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Un souvenir

Harald Wolff

Vers 1955, une tante française, Magda Trocmé, 
que mon père appelait « Ouragan Magda »... 

pendant une tournée de conférences est venue nous rendre visite. Avec son mari, le pasteur André Trocmé, elle était une pacifiste anti-nazi connue, et après la guerre était critique de la politique de Guerre Froide du Président Eisenhower. Mon père, un anglo stoïque, se retirait après le dîner, laissant Maman et Tante Magda « discuter ».

J'écoutais du haut de l'escalier, 
et me souviens du plaisir
 avec laquelle elles échangeaient des idées, 
sans s'attendre à persuader.

Bien que la discussion a peut-être nuancé 
leurs points de vue très affirmés.

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